La Filière à nouveau au cœur de la tourmente : 443 foyers en 4 mois
Depuis le début décembre, l’Europe est à nouveau victime d’une épizootie d’influenza aviaire propagée par l’avifaune sauvage lors des migrations hivernales.
À la date du 3 mars, la France compte 485 foyers d’influenza aviaire hautement pathogène en élevage confirmés par le laboratoire national de référence (LNR) de l’ANSES.
Ces foyers se répartissent ainsi :
- 472 foyers en élevage dans le Sud-ouest ;
- 13 foyers hors Sud-ouest ;
Elle a par ailleurs enregistré 14 cas dans la faune sauvage.
6,7 millions de canards estimés à ce jour perdus pour la production française de Foie Gras
Le plan d’abattages préventifs décidé par les services du Ministère de l’Agriculture concerne à ce jour près de 1,2 million de canards auxquels s’ajoutent 1,2 million d’animaux décimés dans les exploitations touchées par le virus, soit environ 2,4 millions de canards au total.
Un chiffre auquel il faut ajouter le nombre de canards qui ne pourront pas être mis en production depuis le début de l’épizootie, que le CIFOG estime à 4,3 millions de têtes.
Au total, ce sont donc 6,7 millions de canards estimés à ce jour perdus pour la production française de Foie Gras.
Tous les acteurs de la filière touchés sur principalement 4 départements
Tous les maillons de la filière Foie Gras sont touchés par les conséquences de l’épizootie d’influenza aviaire et de son plan d’éradication : les couvoirs, les producteurs, les entreprises de transformation
Par ailleurs, l’épizootie et le plan d’éradication ont également d’importantes conséquences collatérales sur la fabrication d’aliments, le transport des animaux, le transport de denrées, les ressources pour les organisations de production, les intervenants en élevage, les vétérinaires de terrain, etc : des impacts économiques très forts en cours de chiffrage.
Un virus d’une extrême virulence : les explications de Jean-Luc Guérin, professeur en aviculture et médecine aviaire
Mieux comprendre l’épisode d’Influenza Aviaire 2020 avec l’analyse de Jean-Luc Guérin, professeur en aviculture et médecine aviaire.
Comment se propage le virus et pourquoi en sommes-nous arrivés à cette situation?
Le virus H5N8 qui circule cette année (il en existe plusieurs "variantes", appelées "clades") est extrêmement contagieux et pathogène pour les canards en particulier. Les autres espèces de volailles comme les poulets semblent y être moins sensibles. Chaque élevage contaminé émet du virus dans son environnement et augmente considérablement le risque de contamination des élevages de proche en proche. La contamination peut se faire par voie aérienne ou par tout autre vecteur possible : les animaux en cours d'incubation de la maladie, les véhicules et matériels agricoles, ou encore évidemment, les personnes.
Des efforts et investissements importants ont été faits depuis les dernières crises (2015-2016 et 2016-2017) et ils ont sans doute permis d’améliorer globalement le statut sanitaire des élevages vis-à-vis de plusieurs maladies infectieuses et pas uniquement l'influenza aviaire.
Malheureusement, force est de constater que cela n'a pas permis d’empêcher une épizootie dans les Landes cette année pour plusieurs raisons. D’une part, le niveau de contamination des oiseaux sauvages semble particulièrement élevé avec notamment un grand nombre d'oiseaux trouvés morts au bord de la Baltique (plusieurs milliers) ou dans d'autres zones d'Europe du Nord où toute la façade atlantique est concernée. D’autre part, le virus est extrêmement contagieux et le développement récent de l'épizootie suggère que nous étions sans doute bien en dessous de la réalité dans nos prévisions. Enfin, les densités de canards qui ne pouvaient pas être mis à l'abri dans certaines zones des Landes a rendu quasiment impossible la maîtrise de ce risque de transmission à partir des foyers initiaux. Aucune protection n'est absolue évidemment, et des cas de contaminations ont aussi été observés dans des élevages en claustration. Néanmoins, à l'échelle d'un territoire et à ce moment très précis, cette situation a très certainement aggravé le risque de diffusion du virus pour tout le monde.
Pourquoi fait-on des abattages préventifs et pourquoi privilégier la stratégie centripète ?
L’objectif premier est d’arrêter l'épizootie et pour cela la réponse est hélas simple : il faut dépeupler les élevages autour des foyers, pour retirer les potentiels "hôtes" du virus et éteindre cette dynamique épidémique. Pour que cette stratégie fonctionne, il faut assumer l'abattage d'animaux non infectés, le risque de contamination étant de toute façon trop élevé. L'expérience montre d’ailleurs que des élevages à proximité de foyers sont condamnés à être eux-mêmes contaminés s’ils ne sont pas dépeuplés rapidement. Cette stratégie, dès lors qu'il y a de nombreux foyers dans un secteur, doit de préférence être "centripète", c'est-à-dire commencer à dépeupler en périphérie et revenir vers les foyers. L’objectif est de créer une zone vide pour stopper la propagation du virus à partir des foyers.
Pourquoi ne pas vacciner ?
La vaccination contre l'influenza aviaire est un outil à manipuler avec une extrême prudence : elle ne peut être envisagée que si la biosécurité est bien mise en place et si tous les animaux vaccinés sont testés pour garantir qu'ils ne sont pas infectés par un virus pathogène à bas bruit (malgré la vaccination). En effet, la protection vaccinale n'est pas absolue et le principal danger serait qu'une vaccination mal maîtrisée aboutisse à la circulation silencieuse de virus influenza pendant des années. Ce n'est pas anodin et ce ne serait pas acceptable, notamment vis-à-vis de nos partenaires commerciaux européens et internationaux. De plus, au regard de la vitesse de propagation de l'épizootie, la vaccination influenza ne peut pas se mettre en place en urgence. Il est donc trop tard cette année, d'autant plus qu'aucun vaccin efficace n'est industrialisé à ce jour. Ceci dit, il n'y pas de tabou et cette piste pourra être instruite pour l'avenir.
Le temps de l’analyse est arrivé : de nouvelles pistes à l’étude pour renforcer les mesures sanitaires du pacte de 2017
Un virus d’une extrême virulence ralenti grâce au Pacte de 2017
L’application du Pacte établi en 2017 s’est traduite par un renforcement de la réglementation sur la conduite des élevages et sur le transport des animaux. Au vu des éléments scientifiques, une feuille de route a été établie, pour tous les modes d’élevage et circuits de commercialisation :
- Améliorer les réactions collectives en temps de crise
- Sécuriser le maillon production
- Sécuriser le transport des animaux vivants
- Renforcer l’application des règles de biosécurité au niveau des intervenants
- Agir aux niveaux européens et international
- Mettre en place un système d’appui économique aux conséquences de l’influenza aviaire hautement pathogène
- Agir de manière transversale pour l’évolution de la filière
Rappelons que les professionnels de la filière foie gras ont mis en place une Base de Données Avicole, rendue obligatoire dans la filière. Cet outil a largement prouvé son efficacité en permettant de gagner 1 mois ½ dans la lutte contre le virus par rapport à la précédente épizootie. Elle a en effet permis d’améliorer les réactions collectives grâce à la localisation immédiate de tous les lots d’animaux en place, des élevages de reproducteurs et des couvoirs. De plus, l’outil cartographique permet un suivi de l’évolution en temps réel et en coordination avec les Pouvoirs publics et les autres filières avicoles.
Le temps de l’analyse et de la concertation : des groupes de travail à l’initiative du CIFOG
Le temps de la lutte contre la propagation du virus étant quasiment achevé, le CIFOG a entamé une phase d’analyse et de concertation avec l’ensemble des acteurs de la filière afin de décider de nouvelles mesures à prendre pour rendre la filière encore plus robuste sur le plan sanitaire.
Quatre groupes de travail sont en cours de création à l’initiative du CIFOG :
- Anticipation et gestion de crise
- Évaluation des règles de biosécurité
- Évaluation des règles de production
- Evaluation de la solution vaccinale
Le CIFOG avait en effet demandé au ministre de l’Agriculture de mettre en place un groupe de travail sur le sujet de la vaccination avec tous les acteurs concernés : laboratoires, scientifiques, administrations, vétérinaires et professionnels. Il s’agit d’étudier toutes les données relatives à cette solution réclamée par plusieurs professionnels, mais qui doit être une piste de travail sans mettre en péril l’ensemble des filières avicoles.
De plus, le CIFOG avait demandé à ce que le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation procède à la mise en place, comme en 2017, d’un Groupe de Suivi régulier sur l’évolution sanitaire (évolution des foyers, opérations de nettoyage et de désinfection et conditions de remise en production…) ainsi que sur le suivi des indemnisations …
Des pistes à l’étude dans le respect des pratiques de plein air
Le CIFOG réaffirme sa détermination à défendre l’élevage en plein air, qui fait partie de l’ADN de la filière Foie Gras, tout en confirmant le devoir de mettre les animaux à l’abri en période à risque.
En effet, de l’avis des scientifiques, en période à risque, la mise à l’abri de tous les animaux pour les protéger d’une contamination par les oiseaux sauvages est une nécessité temporaire et ne remet absolument pas en cause la pratique de l’élevage en plein air. Ainsi, l’accès au parcours reste une priorité, quel que soit le modèle de production.
Le CIFOG étudie en particulier des solutions à adopter pour les élevages comptant jusqu’à 3 200 animaux et soumis aujourd’hui à dérogation quant à la mise à l’abri en situation à haut risque. L’Interprofession estime en effet que ces animaux doivent également pouvoir être abrités pour éviter la propagation du virus lorsque la situation devient critique.
Parmi les solutions étudiées, figurent la possibilité d’adapter le nombre d’animaux aux bâtiments déjà existants sur l’exploitation, de construire des abris complémentaires, d’organiser un approvisionnement d’animaux prêts à engraisser élevés dans les règles de biosécurité, de décaler les mises en place de novembre et décembre pour éviter de mettre les territoires vulnérables sous tension, etc.